Je me présente : Patrick Bezeau, coordonnateur-traducteur chez CTC. Je propose ici aux non-initiés de la traduction une tranche de vie, ou plus exactement une situation qui revient très souvent lorsque je rencontre une personne pour la première fois.
Dialogue entre amis
Jeudi, 5@7, mon ami Maxime et moi sirotons tranquillement une bière à la microbrasserie du coin. Nous attendons un ami de Maxime.
Maxime – Pat, je te présente mon ami Clément.
Patrick – Enchanté, Clément. Comme ça, tu travailles avec Max ? (Max est comptable.)
Clément – Oui, on travaille tous les deux en comptabilité chez Desjardins. Toi, tu fais quoi ?
Patrick – Je suis traducteur.
Clément – Wow, c’est la première fois que je rencontre un traducteur. Tu dois connaître plusieurs langues ?
Patrick – Non, pas vraiment…
PREMIÈRE ERREUR
Pour le non-initié, voici une surprise ! Sauf exception, les traducteurs ne sont pas d’éminents polyglottes. Généralement, ils se spécialisent dans une paire de langues – pour ma part, c’est la paire anglais-français. Mais revenons un instant au dialogue.
Clément – Ah, je vois, donc tu traduis du français vers l’anglais et vice versa ?*
Patrick – Non plus…
DEUXIÈME ERREUR
Je disais donc que les traducteurs se spécialisent dans une paire de langues. Mais ce que peu de gens savent, c’est que dans notre métier, nous traduisons vers une seule langue, en l’occurrence notre langue maternelle, soit celle « dans laquelle nous sommes allés à l’école ».
Demander à un traducteur francophone de traduire vers l’anglais un texte le moindrement complexe relève généralement de l’utopie, voire de l’absurde. En effet, cela reviendrait à demander à un professeur de littérature française à l’université d’y enseigner l’anglais des affaires. Bien qu’il connaisse l’enseignement, ce professeur ne serait pas parfaitement à l’aise avec la matière… et pour un public informé et averti, les résultats seraient décevants, voire catastrophiques.
La même chose se produirait pour le traducteur qui ne traduirait pas vers sa langue maternelle : son texte contiendrait des erreurs de grammaire et de syntaxe, il ne serait pas idiomatique, il manquerait de finesse, de justesse, de fluidité.
Revenons encore au dialogue…
Clément – Je vois, donc vous vous spécialisez dans une langue. Et tu traduis quoi exactement ? Des romans, des séries télé et des films, j’imagine ?*
Patrick – NON !
TROISIÈME ERREUR
Je suis traducteur depuis environ un an. Je n’ai jamais reçu une seule demande de traduction liée à un film ou à un roman.
Bon, je sais ce que vous pensez – ça fait un an qu’il travaille et il croit déjà tout savoir. Non !
La traduction littéraire, de séries télé et de films n’occupe même pas 1 % du marché de la traduction au Québec.
Que traduisons-nous, donc ?
Réponse : des textes administratifs, juridiques et publicitaires, des manuels techniques, des emballages de produits alimentaires, des livres de recettes, des CV, des sites Web de toutes sortes…
Qui sont nos clients ? Principalement des entreprises – de la PME à la grande entreprise –, des OSBL et des particuliers.
Au Québec, tout (absolument TOUT) doit être traduit du français vers l’anglais ou de l’anglais au français. Si la Californie est le paradis du surf, le Québec est le paradis de la traduction. Bon, c’est un peu moins sexy, j’en conviens…
Clément – Je comprends mieux,
Un autre collègue de travail de Maxime arrive.
Maxime – Pat, un autre de mes collègues, Mat.
Patrick – Un autre comptable ? J’imagine que tu comptes beaucoup.
Mathieu – On a un petit comique, ici ! Tu travailles dans quel domaine ?
Patrick – En traduction.
Mathieu – Tu dois connaître beaucoup de langues ?
Patrick – Ah non, pas encore…Barman, une autre pinte de bière, s’il vous plaît !
Fin du dialogue