La traduction commerciale est une affaire de spécialistes. Cette branche de la traduction, qui fait travailler des dizaines milliers de personnes dans le monde, exige des connaissances et des compétences étendues. Voyons cela d’un peu plus près.
Exigence numéro un : connaître les entreprises et leur réalité
Le traducteur commercial chevronné met de longues années avant d’acquérir les connaissances et l’expérience nécessaires pour exercer sa profession de manière autonome.
Il lui faut généralement au moins cinq années de pratique avant de pouvoir traduire « sans filet », c’est-à-dire sans soumettre le fruit de son travail à l’examen d’un réviseur expert avant la livraison du produit au client.
Le traducteur commercial qui s’autorise à traduire sans filet possède non seulement une riche expérience en traduction, mais aussi une fine compréhension des principales formes d’organisation et de fonctionnement des entreprises et du monde des affaires, voire souvent de l’économie en général.
Qu’il travaille en cabinet ou à son compte, il connaîtra bien :
- le type d’entreprise à qui il a affaire : entreprise manufacturière ou de services, société à capital ouvert ou à capital fermé, firme nationale ou multinationale ;
- le contexte économique dans lequel cette entreprise évolue : son marché, ses clients, ses concurrents, ses fournisseurs, ses défis ;
- le vocabulaire employé par cette entreprise — dans ses communications avec ses clients (consommateurs, entreprises, organismes publics ou parapublics), mais aussi avec ses actionnaires et son personnel.
Connaître l’entreprise cliente, son environnement d’affaires et son vocabulaire permet au traducteur de travailler de façon intelligente et informée.
Privé de ce contexte, même le professionnel le plus aguerri marchera sur des œufs et flirtera constamment avec l’erreur. C’est que le mot juste n’est juste que dans le contexte qui est le sien. Un léger changement de contexte et hop, la lecture change aussi !
La communication commerciale doit être personnalisée
C’est que les outils et les stratégies de communication d’un cuisiniste ou d’une cimenterie, par exemple, ne sont pas les mêmes que ceux de sociétés comme Porsche ou Benetton.
Dans le même ordre d’idées, une société de nanotechnologie ne s’adressera pas à ses clients ou à ses actionnaires de la même manière qu’un producteur de coton ou de café.
C’est un fait : les industries sont multiples et chaque entreprise définit à sa guise la stratégie, le discours et les idées-forces qu’elle emploie. Cela oblige le traducteur à porter son regard au-delà du texte proprement dit pour prendre en compte des éléments de marketing qui conditionnent et informent ce même texte de l’extérieur.
Dans la traduction commerciale, il faut tenir compte d’éléments externes qui tracent le contour de l’ensemble des communications d’une entreprise et qui se réverbèrent jusque dans le discours sur les produits et les marques de cette société. Le traducteur, s’il n’est pas suffisamment attentif à ce cadre, ne pourra pas livrer un texte satisfaisant.
Traduire en interprétant le sens du mot dans son contexte
Pour vous convaincre de l’importance du contexte, songez au mot anglais benefit, pour ne citer que cet exemple. Ce dernier peut se traduire d’au moins 10 manières : avantage, prestation, garantie, indemnité, événement-bénéfice, prime, rente, capital assuré, somme due, bienfait...
Comment le traducteur s’y retrouvera-t-il dans cette multitude de choix ?
Comment trouver le mot juste ?
Réponse : en discernant le contexte : assurances, actuariat, ressources humaines, comptabilité, marketing, vocabulaire général…
Privé de contexte, le traducteur pourra toujours interroger l’auteur. Faute des lumières de l’auteur, il pourra tenter une traduction et insérer dans sa traduction une note explicative pour s’expliquer… et se protéger.
Il pourra aussi choisir de laisser en anglais le mot benefit en demandant au client de le traduire lui-même, ce qui traduit une certaine paresse.
Le mot benefit peut se traduire d’au moins 10 manières, de quoi faire lever les yeux ciel…
Exigence numéro deux : pour bien traduire, il faut s’imprégner du vocabulaire de chaque entreprise
Sous l’influence des contacts linguistiques incessants du français avec l’anglais américain, canadien, britannique, une partie du champ sémantique du français tend à se fondre avec celui de la langue de Shakespeare, au point de dénaturer le français, avancent certains.
Cette confusion rend les pièges difficiles à reconnaître pour le non-professionnel, ce qui explique des milliers d’erreurs de traduction.
Voici quelques erreurs courantes en traduction commerciale. Même les professionnels doivent s’en méfier :
- auditor: auditeur vérificateur
- bankrupcy: banqueroute faillite
- capital spending: dépenses en capital dépenses en immobilisations
- executive committee: conseil exécutif conseil de direction
- fringe benefits: bénéfices marginaux avantages (sociaux)
- head office: bureau chef siège social
Pour apprendre à éviter ces erreurs, le traducteur devra s’armer de patience et suivre les consignes de son mentor et réviseur : le traducteur chevronné ou aguerri.
S’approprier intégralement le vocabulaire étrangers.
Une habitude des francophones d’Europe, souvent décriée au Québec, consiste à s’approprier intégralement, sans rien y changer, des mots étrangers. Des exemples ? Parking, running shoe, e-mail...
Aux yeux de plusieurs, pareille appropriation de mots étrangers révélerait une incapacité à produire le vocabulaire idoine dérivé. Mais voilà, maints linguistes sont d’avis que de tels emprunts peuvent combler une lacune réelle et que, pour cette raison, il ne faut pas condamner toujours leur emploi.
Et vous, que préférez-vous, l’emploi de e-mail ou celui de courriel ? Celui d’espadrille ou de running shoe ?
Pour le traducteur professionnel, il ne s’agit pas de trancher ce débat, mais plutôt de demander au client ce qu’il souhaite et de lui expliquer au besoin les pour et les contre de son choix.
Dans l’assimilation qu’il doit faire du vocabulaire de son client, le traducteur doit tenir compte de nombreux facteurs extralinguistiques — avancement technologique, réalités culturelles, mondialisation, notamment —, ce qui vient complexifier sa tâche.
L’exemple du mot corporation
Pour illustrer ce fait, prenons l’exemple du mot « corporation », qui dans l’ensemble la francophonie désigne une association de personnes exerçant une même profession.
Au Canada, sous l’influence de l’anglais assurément, le Bureau de la traduction admet un deuxième sens pour le mot « corporation » : celui d’« entreprise » ou de « société ». Comme un avis en appelle un autre, parfois opposé, certains linguistes prennent le contrepied du Bureau de la traduction et jugent abusive cette acception, lui préférant « entreprise » ou « société ».
Si l’on pousse la réflexion un peu plus loin, on constate que l’acception de corporation entendue par le Bureau de la traduction recoupe en partie le sens que l’on reconnaît, en Europe, au terme « société anonyme » (S.A.).
En France et en Suisse, notamment, S.A. désigne une société dont le capital social est composé d’actions. Si l’on se transporte en sol anglo-saxon, on constate qu’aux États-Unis, « corporation » désigne une société anonyme analogue à une société à responsabilité limitée, une définition qui correspond à company with limited responsibility (Ltd.), un statut juridique répandu dans le monde anglo-saxon.
Enfin, au Royaume-uni, une corporation est un organisme public ou semi-public. La BBC, par exemple, est une corporation au sens britannique du terme : c’est la British Broadcasting Corporation ! Et la CBC — le pendant anglais de la Société Radio-Canada — en est une aussi : la Canadian Broadcasting Corporation !
À la lueur de ce qui précède, on comprend que le traducteur spécialisé en textes commerciaux, doive connaître le contexte dans lequel s’insèrent les mots qu’il traduit. Cela lui est aussi crucial que de connaître le public cible d’un document écrit, audio ou audiovisuel. Cette connaissance est la condition d’une traduction compétente et informée.